« Témoin de la nuit » de Kishwar Desai

Penjab, Inde. Dans une maison cossue, une famille entière — 13 personnes — est massacrée : empoisonnées, poignardés, en partie brûlés. Seule survivante, la plus jeune fille, 14 ans, est retrouvée attachée à un lit, battue et violée. Et pourtant, c’est elle qui est immédiatement soupçonnée du crime.

Simrah Singh est travailleuse sociale bénévole (elle est héritière d’une fortune, et plutôt que de se marier, a choisi de consacrer sa vie aux autres.). Le cas de Durga, l’adolescente meurtrière, lui tombe sur les bras, et sa conviction qu’il se cache derrière cette histoire une histoire encore plus sordide qu’un massacre perpétré par une enfants, elle s’enfonce dans les marais les plus fétides de la société indienne…

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Il faut arrêter de publier comme des polars des romans qui n’en sont pas. Les amateurs de polars n’y trouvent pas leur compte (les critiques principales que j’ai lues sur le roman lui reproche d’être un roman hybride qui ne sait pas ce qu’il veut être) et le public à qui ils devraient être destiné ne les trouve pas parce que les gens qui lisent de la Littérature avec un grand L lisent souvent peu de livres de genre.

Ça me fait penser à Chanson douce de Leila Slimani qui a été publié comme un polar aux USA, c’est absurde. C’est un peu la même chose avec ce livre. C’est un livre de critique sociale virulent, qui utilise le cadre d’une enquête comme outil pour dérouler progressivement ses révélations horribles. Mais c’est une enquête qui n’emprunte que très légèrement les codes policiers. Parce que clairement, l’aspect « déductif » n’est pas le but de l’auteur, et elle ne veut pas qu’il le soit.

J’ai dévoré ce livre en une nuit d’insomnie, sans savoir que cette histoire me donnerait probablement des cauchemars. Pas parce qu’elle est gore (elle ne l’est pas), mais parce qu’elle est vraie.

Desai utilise l’histoire d’une adolescente tueuse, ou au moins complice (c’est dit à la 1ère page), pour dévoiler progressivement la face cachée la plus sordide de l’Inde : la façon dont elle traite ses filles. Comment dans certaines régions, le ratio est de moins de 800 filles pour 1000 garçons, voir de moins de 400 filles pour 1000 garçons. Comment malgré la loi interdisant de dévoiler le sexe à l’échographie, il se crée des cliniques destinées aux avortements de filles sans que ce soit même un secret. Comme les méthodes les plus barbares sont utilisées pour tuer les nouvelles-nées (je vous épargnerai les détails, lisez le livre). Etc.

Pour ce faire, elle utilise l’histoire d’une famille où la haine des filles est instaurée en raison de vivre, le culte des garçons portée jusqu’à la folie. Avec une maison familiale dite hantée au cœur de l’intrigue.

J’ai été particulièrement surprise, par rapport à ma lecture précédente, de retomber sur un roman réutilisant les codes du gothique (la maison familiale et menaçante, les « fantômes » du passé, la famille sinistre, l’homme dangereux au coeur de cette famille, la folie et la sexualité feminines intrinsèquement liées). Je ne devrais pas être si surprise, les codes du gothique se sont insinués partout, et je ne suis même pas sûre que l’autrice se soit rendue compte qu’elle les utilisait tellement ils imprègnent l’imaginaire littéraire. Je n’aurais probablement même pas fait le rapprochement sans ma lecture précédente. Mais contrairement à Mexican Gothique, Desai réussi parfaitement à sortir ces codes de leur cliché anglo-saxon, et encore mieux, elle réussi à les réinventer.

Bref un livre un peu dur parfois, mais un pamphlet social réussi sur la guerre des filles en Inde. Avec une fin en demi-teinte, très amère, comme la réalité. À ne pas lire comme un polar : PARCE QUE CE N’EST PAS UN POLAR.

* image d’en-tête trouvée sur Pinterest, je n’ai pas réussi à retrouver la source

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